dimanche 10 janvier 2010

Intervention de Claude Poissenot



Les jeudi 7 et vendredi 8 janvier 2010, Claude Poissenot est intervenu dans le cadre de la licence professionnelle de l’IUT Métiers du livre d’Aix-en-Provence. Le titre de son intervention était : « Les bibliothèques et leur publics ».

Après un léger retard dû aux conditions climatiques et à l’oubli d’une valise dans un bus… Nous avons enfin eu le privilège de rencontrer ce sociologue dont on nous avait tant parlé lors de nos différents cours !

L’entrée en matière ne fut pas des moindres, car elle se fit avec cette citation de Passeron : « Les effets de l’illusion ne sont pas illusoires. » Ensuite après quelques précisions pour présenter le cadre de cette intervention Claude Poissenot entra dans le vif du sujet en affirmant qu’aujourd’hui la question des publics est obligatoire.

En France, les bibliothèques, et ce depuis la Révolution, ont avant tout eues le souci des livres. Ce qui n’est pas le cas des bibliothèques anglo-saxonnes qui n’ont pas ce poids de l’héritage patrimonial. C’est seulement à la fin du XIXème siècle, avec les bibliothèques universitaires, que la question de l’usager apparait. Se développe alors une politique d’offre, de prescription, le public n’existe alors que comme public à façonner. Ainsi cette politique d’offre représente un obstacle à la connaissance des publics, on s’adresse plus à un public idéal qu’au public réel.

Pour les bibliothèques publiques, le public est pourtant essentiel, car dans ces missions, elle doit être ouverte à tous. Aujourd’hui avec l’essor du numérique et d’internet cette question devient de plus en plus cruciale.

Ainsi, pour développer cette problématique du public en bibliothèque, il faut pouvoir s’appuyer sur un schéma d’analyse des publics. La fréquentation, en tant que différence entre les usagers et les non usagers, est un critère important pour commencer une analyse et une compréhension des publics. La fréquentation est la résultante de deux causalités : une causalité externe : l’environnement social, et une causalité interne : qui dépend des bibliothèques et de l’organisation de leurs services. Pour comprendre la fréquentation et décrypter les publics, il faut un certain nombre d’indicateurs :

-le taux des inscrits : nombre d’inscrit/population de la commune (mais attention de nombreux paramètres entrent en jeu et le rendent plu s ou moins relatif, exemple : inscrits de communes voisines)

-le volume de fréquentant : l’enquête du CREDOC de 2005 a montré une baisse du nombre d’inscrits mais une augmentation du nombre de fréquentants , démontrant un changements dans les usages. Mais en 2010, avec l’enquête sur les pratiques culturelles des français d’Olivier Donnat, la prévision du CREDOC avec une augmentation du taux de fréquentation à 50%, s’est vu démentie avec une stagnation à 30%.

-la structure des fréquentants : de nombreux indices donne un paysage de cette structure :

-Une fréquentation féminisée (causalités externes et internes)

-Les jeunes fréquentent en pourcentage, plus la bibliothèque que leurs aînés mais cette tendance va sûrement s’inverser, notamment avec le « papyboum ».

-Un public socialement favorisé (mais en déclin) : la bibliothèque entre moins dans les pratique culturelle et sociale.

-Un poids faiblissant mais toujours massif du niveau de diplôme

Etc…

La fréquentation doit être pensé non comme un état mais comme un processus, afin de pouvoir en changer le cours. Comment un certain type de population arrive à fréquenter la bibliothèque plus que d’autre ? Quel est le filtre implicite qui incite plus certaines catégories que d’autres ? Tenter de répondre à ces questions visent à définir les défis de la bibliothèque, à la repenser afin qu’elle puisse continuer à remplir ces missions encyclopédiques et démocratiques.

Il y a, aujourd’hui, une évolution de ce qui constitue l’identité des individus : les individus revendiquent de plus en plus leur autonomie. On a assisté, depuis les années 60, a une émergence de l’autonomie individuelle. Cela change leur rapport au monde et donc aux institutions. Ainsi aujourd’hui, on revendique le choix mais celui-ci doit pouvoir être réversible. On revendique l’autonomie mais l’individu contemporain reste dans du relationnel car il ne se suffit pas à lui-même (l’homme est un être social et il a besoin de l’autre pour se définir).

La modernité amène aussi, une idée de relation horizontale. Cette horizontalité est fictive car il reste une hiérarchie, nécessaire dans la société humaine, mais c’est une aspiration. A partir de ces conceptions, la prescription n’est plus possible. Le conseil peut l’être, s’il s’inscrit dans un échange horizontal. Paradoxalement, l’enjeu de reconnaissance par les institutions reste important. Attention, il ne faut, cependant, pas tomber dans le communautarisme et la ghettoïsation.

L’enjeu pour les bibliothèques est de reconstituer un discours afin retrouver sa légitimité. Il y a, en effet, un processus de transition entre une légitimation par principe à une légitimation par la preuve. D’où la nécessité des évaluations qui se développent de plus en plus en bibliothèque.

Pour Claude Poissenot, la bibliothèque doit réussir à négocier un espace qui concilie le « être soi » et le « être avec », elle doit trouver une solution de « sociabilisassions des solitudes » car c’est un espace social, un espace public (et il n’y en a pas tant que ça). C’est un espace qui doit permettre d’être libre mais ensemble. Claude Poissenot cite alors la publicité de Mac Donald : « venez comme vous êtes ! ». Il explique que la bibliothèque devrait avoir ce slogan, que l’institution doit être capable de s’adapter au public. Il fait, dans ce sens quelques propositions :

- une implantation géographique en phase avec la population, comme par exemple des bibliothèques dans des centres commerciaux (cela existe un peu en France, notamment à Marseille : bibliothèque de Bonneveine)

- De la transparence depuis l’extérieur pour permettre la « mise en scène de la lecture » (c’est qui c’est développé dans les dernières constructions, notamment les BMVR)

- Assumer les choix de « culture froide » (ascétisme, distance à l’œuvre, étude, expérience individuelle…) et de « culture chaude » (hédonisme, participation, divertissement, convivialité…cf. B.Lahire) en les séparant, en donnant une place à chacune pour sortir d’un mélange aboutissant à une « culture tiède ». Il faut donc différencier les espaces.

- Le personnel doit aimer les gens tel qu’ils sont, sans jugement, et non tel qu’ils devraient être.

- Adieu Deway ? Pistes :

-Mettre en espace la littérature par genre

-Distinguer « comprendre le monde » (théorique) et « faire le monde » (pratique)

- Adopter un classement alternatif

(cf. httpwww.bisg.org/activities-programs/activity.php?n=d&id=73&cid=20)

Il faut aussi penser les usages, pour cela il faut :

- décomposer les services : espace de sociabilité, collections, usage des ordinateurs…

- une compréhension et une connaissance des comportements des usagers, exemple : comment les gens investissent-ils l’espace ?

- rechercher les logiques d’usages, qu’est-ce qui est le moteur des usages ?

Bref, l’enjeu réside dans une meilleure connaissance des publics, et pour cela il faut que les bibliothèques n’hésitent pas à développer et à mettre en œuvre des actions d’évaluation, des observations, des questionnaires, des entretiens, des enquêtes…et mettre, ensuite, en relation les informations qu’on en tire afin de mettre en place des adaptations en phase avec les publics.

lundi 4 janvier 2010

Billet sur la conférence d’Hervé Le Crosnier : Pratique de lectures à l’ère de l’ubiquité, de la communication et du partage de la connaissance .




(dans le cadre des « Métamorphoses numériques du livre » qui se sont déroulées les 30 novembre et 01 décembre 2009 à la Cité du livre d’Aix-en-Provence)

Hervé Le Crosnier est enseignant-chercheur à l’université de Caen. Il participe au réseau de recherche sur le document numérique du CNRS, ancien bibliothécaire il a fondé la liste professionnelle de débat biblio-fr et est aussi éditeur multimédia chez C&F éditions.

Cette conférence d’Hervé Le Crosnier devait faire l’ouverture de ces deux journées de colloque, il n’est malheureusement intervenu qu’à la fin de la première matinée. « Malheureusement » car ça aurait été une parfaite conférence introductive sur la question des métamorphoses numériques du livre et nous pouvons regretter qu’elle n’est pas eu lieu au moment prévu. En effet, dans cette intervention Hervé Le Crosnier a défini les notions et les concepts de bases de cette problématique et en a rappeler les enjeux.

Pour commencer, il s’est attelé à la définition de ce qu’est un livre aujourd’hui et a, en particulier, donné des pistes de compréhension, sur la question de ce qu’est un livre numérique, en précisant qu’il s’agissait du résultat d’une métamorphose, prenant l’image de celle du papillon. Il a ensuite expliquée que la notion de document réside davantage dans la communauté des lecteurs que dans l’objet sur l’étagère. Il cite Michel Melot : « C’est dans cette communauté de lecteurs qu’il faut chercher le document. ». Ainsi plusieurs axes ont été dégagé pour approcher cette métamorphose :

- du point de vue de la forme avec l’intégration du multimédia

- la question du sens et les nouvelles pratiques d’organisation des données et des informations et la manière d’en extraire les connaissances

-et pour finir du point de vue du médium qui pose des problèmes économique et juridique.

Ceci a permis de dégager le postulat de base de cette problématique sur l’arrivée du numérique et les changements des pratiques de lecture qui l’accompagne, à savoir , la séparation du contenu et de son enveloppe : l’immatériel qui s’émancipe du matériel.

C’est là que réside le cœur de cette problématique et d’où découle un certain nombre d’enjeux : sur le partage de la connaissance, avec le web en tant que bibliothèque de tous les savoirs ; sur le problème de la convergence des télécoms, de l’informatique et des médias autour d’un même réseau de diffusion, qu’est internet ; mais aussi sur la question des nouvelles pratiques de lecture qui reposent sur de nouveaux supports tels que les ordinateurs portables ou même les téléphones mobiles ; ou encore sur la question de l’accès au contenu qui elle-même pose d’autres questions.

En effet, pour accéder au contenu sur internet il faut commencer par passer par une étape de recherche. Ceci pose une question essentielle pour nous bibliothécaires, sur les notions de repérage et de classement de l’information mais aussi sur la question de l’intermédiaire que sont alors les moteurs de recherche. De cela découle la question de la pertinence de cette nouvelle organisation de l’information régit par des enjeux publicitaires et financiers.

D’autre part, cette nouvelle organisation de l’information engendre aussi des évolutions dans les pratiques de lecture et d’appropriation de l’information : une lecture parcellaire, fragmentée et une appropriation de l’information sur le système du « copier/coller ». Ce qu’ Hervé Le Crosnier appelle la remix culture. Ceci dit, il ne faut pas la rejeter mais la comprendre et tenter d’organiser ses usages dans une nouvelle perspective basé sur le partage des connaissances que le numérique et internet permettent d’enrichir considérablement avec les échanges, les commentaires, les critiques, les rebonds…tout ce qui compose ce qu’on appelle les métadonnées culturelles d’une œuvre.

Ceci pose bien évidemment des problèmes à la fois géopolitique mais aussi juridique et économique, en particulier en ce qui concerne la question de la propriété de l’œuvre, du droit d’auteur et de sa rémunération. En effet, l’infrastructure entière de la chaîne du livre, avec la création de document numérique, tend aujourd’hui vers zéro car tout le monde peut avoir la possibilité technique de mettre en œuvre cette création. Hervé Le Crosnier rappelle ici, que ce qui est la ressource rare aujourd’hui, c’est le lecteur. Il faut capter et garder son attention.

Ces questions sont a prendre au sérieux car elles engendrent des risques car cette production sur internet requiert de trouver un nouveau système économique qui ne doit pas être ce vers quoi elle tend : uniquement basé sur la publicité comme seul payeur de la culture. Car alors il faudra s’interroger sur quelle culture nous attend demain avec un tel système. Des solutions sont proposées avec des modèles d’économie collective qui propose une répartition des sommes collectées globalement suivant les usages.

D’autre part, Le Crosnier s’interroge sur le « oser penser » différemment : le droit d’auteur doit-il être figé ? Quel nouveau modèle, pouvons-nous proposer pour préserver la culture indépendante de marchés financiers trop pressants ? Quel va être le nouveau contrat social autour de la lecture ? C’est une révolution technique mais aussi des comportements auxquels il faut participer à ce moment crucial et passionnant dans lequel on vit aujourd’hui.

Liens vers d'autres blogs présentant des résumés de ces conférences:

sur l'apprenti-biliothécaire

(compte-rendu de la conférence d'Isabelle Le Masne)

sur bibliorev

et

sur bibliophage

(compte-rendu de la conférence d'Alain Giffard)


sur abracadabibliothesque


(compte-rendu de la conférence de Bernard Stiegler)

sur bibliopholie

(compte-rendu de la conférence de Gilles Eboli)

sur encrinet

et

sur bibevolution


(compte-rendu de la conférence de Brigitte Simmonot)

sur la tached'encre

(compte-rendu de la conférence de Thierry Baccino)

sur bibulle

(compte-rendu de la conférence de Martin Dacos)